L’Accord d’Association UE-Algérie en phase d’être revisité pour la redynamisation d’une relation équilibrée .. Par Arslan Chikhaoui

L’Accord d’Association UE-Algérie en phase d’être revisité pour la redynamisation d’une relation équilibrée

1. Contexte

Le processus de rapprochement entre l’UE et l’Algérie s’est concrétisé en 2002 par la signature de l’Accord d’Association et son entrée en vigueur en 2005. Pour l’Algérie, cet accord intervenu dans un contexte, particulier de crise multidimensionnelle, constituait une opportunité pour se repositionner sur la scène internationale tout en ambitionnant l’émergence et la diversification de son économie. Pour l’UE, l’intérêt était de développer sur son flanc Sud, une zone commerciale et économique, gage de sécurité et stabilité et de maîtriser des flux migratoires, d’une part, et de sécuriser ses approvisionnements en énergie et offrir aux entreprises européennes des possibilités de développer et de consolider leurs positionnements sur les marchés émergents, d’autres part. Cet accord comporte, également, des dimensions de dialogue politique, de rapprochement culturel et d’harmonisation juridique et institutionnelle.

En 2011, une révision partielle de l’Accord d’Association a conduit à un ajustement de calendrier consistant en un report du démantèlement tarifaire d’une série de produits jusqu’à 2020 au lieu de 2017, sans toucher aux autres termes de l’accord. Le 31 août 2015, l’Algérie a exprimé officiellement sa volonté de revisiter l’Accord d’Association, ce qui a fait l’objet de nombreuses réunions à Alger et Bruxelles au cours de l’année 2016 et l’adoption d’un document portant sur les mesures à mettre en œuvre pour rééquilibrer cet accord. Les négociations qui ont suivi, notamment, le 10ᵉ Conseil d’Association tenu à Bruxelles en mars 2017, ont abouti à l’adoption des priorités du partenariat Algérie-UE, à savoir :
• Dialogue politique, gouvernance, état de droit et promotion des droits fondamentaux.
• Développement socio-économique, échanges commerciaux et accès au marché commun européen.
• Partenariat énergie, environnement et développement durable.
• Dialogue stratégique et de sécurité, y compris sur les questions régionales et la lutte contre le terrorisme.
• Dimension humaine, migration, mobilité.

Il ressort des chiffres officiels que l’UE est le plus grand partenaire de l’Algérie avec environ 50,6% du commerce international du pays en 2024. Ces dernières années, la valeur totale des exportations de l’UE vers l’Algérie a régulièrement diminué, passant de 22,3 milliards d’Euros en 2015 à 14,9 milliards d’Euros en 2023.

2. Postures et approches

Depuis 2021, la Commission Européenne critique les restrictions algériennes sur les exportations et investissements européens. Ces mesures, censées stimuler la production locale ont compliqué un tant soit peu le processus d’ouverture de l’Algérie aux Investissements Directs Etranger (IDE). En effet, depuis plusieurs années, l’Algérie a mis en place des mesures pour stimuler sa production locale. Cependant, ces initiatives ont généré des incompréhensions et des frictions, notamment, avec l’UE. Selon des observateurs, l’UE aurait formulé huit plaintes contre l’Algérie. Parmi celles-ci figurent, un certificat d’importation, introduit en 2022 dont la délivrance est jugée par l’UE comme « arbitraire ». De plus, l’UE considère qu’un système de licences d’importation mis en place fonctionne comme une « interdiction déguisée ». Ces mesures restrictives touchent plusieurs secteurs économiques. Par ailleurs, l’UE note que l’obligation faite aux constructeurs automobiles d’intégrer un pourcentage croissant de produits locaux pour la fabrication des véhicules et le conditionnement de l’accord des subventions au respect de cette règle, complique les opérations des entreprises européennes.

Selon nombre d’experts et en termes d’analyse, l’économie algérienne n’était pas et n’est toujours pas préparée à un démantèlement aussi rapide des barrières tarifaires, notamment, dans un contexte de retard des réformes structurelles et de modernisation du tissu industriel. Ainsi, la perception de l’Accord d’Association par l’Algérie est celle d’un accord déséquilibré. Ses attentes se situaient plus sur la coopération et les IDE que sur les effets du démantèlement tarifaire. Il apparait que le manque de préparation de l’économie algérienne au libre-échange n’est pas spécifique à la relation avec l’UE, puisque l’Algérie a été amenée à geler en 2014 et 2015 plus de 1000 produits prévus au démantèlement tarifaire dans le cadre de la Grande Zone Arabe de Libre Echange (GZALE) et aussi a émis une fin de non-recevoir des propositions d’accord de libre-échange bilatéraux avec la Turquie et le Royaume Uni, par exemple. Avec l’avènement de la Zone de Libre Echange Africaine (ZLECAF), il est utile de suivre l’évolution de l’approche Algérienne, d’autant plus que les mécanismes de la ZLECAF sont alignés sur les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et s’appuient sur les Communautés Economiques Régionales (CER).

En termes d’analyse, le retour au processus de démantèlement tarifaire et la réalisation d’un accord complet de Libre Echange entre l’Algérie et l’UE nécessite une nouvelle démarche objective qui tiendrait compte du rythme effectif des réformes de troisième génération qui restent à mener en Algérie en matière du climat des affaires, du système financier et bancaire, de la compétitivité des entreprises, de la disponibilité à l’accès au foncier industriel, agricole et de services, de l’égalité entre entreprises publiques et privées et de la conformité du produit algérien aux standards internationaux. A priori, la structure de l’économie algérienne et de ses exportations est un facteur défavorable pour absorber l’effet restrictif des règles d’origine du système pan-euro-méditerranéen. Toutefois, les IDE pourraient améliorer la capacité de l’Algérie pour faire face aux effets restrictifs des règles d’origine, de pénétration des marchés de l’UE et être finalement un facteur de diversification et de développement euro-méditerranéens.

Il est indéniable que la priorité qu’avait accordée l’UE, après la chute du mur de Berlin, à l’élargissement vers l’Est avec sa politique de convergence, a porté préjudice à sa politique de voisinage sur son versant Sud, c’est-à-dire la Méditerranée. Toutefois, les enjeux en matière de sécurité, de gestion des flux migratoires, de sécurisation énergétique demeurent importants pour l’UE dans la redynamisation de la coopération avec l’Algérie dans le cadre de l’Accord d’Association.
Selon nombre d’experts, deux décennies après la signature de l’Accord d’Association, il est constaté que :
• Les entreprises algériennes restent encore peu compétitives et faiblement en mesure de se déployer à l’international ;
• Le nombre d’entreprises disposant de certifications et de marquages pour accéder au marché européen est très faible ;
• La diversification de l’économie est à ses débuts. La part des hydrocarbures dans le PIB et dans les exportations demeure sensiblement la même ;
• De nombreux mécanismes institutionnels sont encore peu adaptés au cadre conceptuel et d’harmonisations prévues à l’Accord d’Association tels que les infrastructures de qualité, la protection de la propriété intellectuelle, les mécanismes d’accès au financement ainsi que les mécanismes d’appui aux entreprises.

Cependant, les réformes en cours, dont certaines connaissent déjà une application, augurent d’une amélioration du climat des affaires. Toutefois, pour renforcer la coopération entre l’Algérie et l’UE et faire aboutir la redynamisation de l’Accord d’Association, les experts s’accordent sur le fait de développer un dialogue permanent sur les pistes et moyens de renforcer cet accord et revisiter la question du libre-échange Algérie-UE dans une logique de long terme qui tiendrait compte des évolutions du contexte régional et des résultats des autres zones de libre-échange avec l’Algérie.

Aussi bien cet accord que les projets de coopération initiés par l’UE, se heurtent à des incompréhensions de la réalité du terrain. Ainsi l’UE reproche à l’Algérie :
• Les retards sur les réformes économiques, notamment, en matière douanière, fiscale et bancaire ;
• Un climat des affaires non encore totalement favorable aux IDE ;
• Les lenteurs et complexités administratives, ainsi que des changements fréquents des règles et procédures administratives ;
• Les dispositions restrictives du commerce ponctuelles récurrentes, mises en place sans consultation préalable avec l’UE ;
• Un cadre défavorable de protection de la propriété intellectuelle ;
• La perception d’un niveau élevé de corruption.

De son côté, l’Algérie reproche à l’UE :
• Les conditions déséquilibrées de signature de l’Accord d’Association ;
• Le rythme soutenu de démantèlement tarifaire ;
• L’échec ou l’inefficacité des programmes de coopération ;
• Le manque ou l’inefficacité de l’appui de l’UE sur le dossier d’accession à l’OMC.

En somme, la perception et la posture se situent entre appréhension d’un côté et incompréhension de l’autre.

 

3. Impact sur les échanges européens

L’Algérie, avec 59.1% de ses échanges avec l’UE, se plaçait à un niveau de relations commerciales avec les pays de l’UE au-dessus de la moyenne des pays tiers méditerranéens (PTM) mais en deçà de ses voisins d’Afrique du Nord. L’analyse de la structure des échanges extérieurs de l’Algérie met en exergue sa trop forte dépendance des hydrocarbures. Sa balance commerciale présente, à l’exception des combustibles, systématiquement des soldes négatifs pour toutes les catégories de produits de la SITC (Standard International Trade Classification). Selon les experts, la faiblesse des IDE en Algérie reste tributaire de problèmes de perception, comme l’indiquent les classements défavorables sur différents indices. En matière d’indice de liberté économique, par exemple, l’Algérie est classée 167ème sur 177 pays. Cependant, les réformes engagées dans les programmes du gouvernement et les instructions du Président de la République Algérienne, à l’occasion de l’élaboration du nouveau code des investissements, permettent d’apprécier l’amélioration du cadre règlementaire pour les IDE et qui va incontestablement se poursuivre.

Au chapitre lié à « l’aire d’intérêt commun » en Méditerranée Occidentale, l’UE demeure le principal partenaire commercial de l’Algérie, représentant plus de 50% de ses échanges extérieurs. Cependant, les exportations européennes vers l’Algérie ont chuté de manière significative ces dernières années. Elles sont passées de 22,9 milliards d’Euros en 2014 à 14,9 milliards d’euros en 2023, soit une baisse de 45%.

Nombre d’observateurs soulignent que, depuis quelques années, l’UE a adopté une démarche plus ferme en matière d’application effective de ses accords de commerce. En termes de décryptage, le contexte de l’affaiblissement de l’OMC ainsi que les mesures commerciales prises par les principaux partenaires commerciaux de l’UE, notamment les Etats Unis d’Amérique et la Chine, sont perçus par la Commission Européenne comme contraires aux principes du libre commerce.

4. Démarche stratégique de l’Algérie

L’Algérie, pour sa part, en réponse à la crise économique engendrée par la pandémie du Covid-19 et cherchant à limiter ses importations pour combler ses déficits et diversifier son économie, a adopté des mesures, qui ont souvent été considérées comme « restrictives ». Cependant, il est clair que l’objectif est de stimuler la production locale et attirer des investissements étrangers en contenant la pesanteur de la bureaucratie. Toutefois, ces initiatives ont parfois été appliquées en inadéquation avec la réalité du terrain. Les observateurs considèrent que l’Accord d’Association prévoit des possibilités pour limiter les importations de manière ponctuelle, mais que ces mesures dites « restrictives » sont souvent mises en place de manière unilatérale. Les experts s’accordent sur le fait que bien que les autorités algériennes cherchent à projeter une image d’ouverture aux investissements étrangers et à « dé-diaboliser » aussi bien l’entreprise privée algérienne que les IDE, elles multiplient simultanément les obstacles à l’importation. Ceci a des implications directes sur les investisseurs qui doivent souvent importer des intrants pour leurs opérations de production en Algérie et qui ne voient pas favorablement des mesures mises en œuvre du jour au lendemain sans préavis leurs permettant une adaptation au sein du management opérationnel de leurs entreprises. Globalement, la situation reflète la complexité de passer d’une économie fortement centralisée à travers le temps à une économie sociale de marché. Cette transition économique remet certainement en question les dividendes de la rente pétrolière et par voie de conséquence rend la mue économique particulièrement exigeante et difficile. La mue est par définition une approche à « temps long », ce qui est en contradiction avec l’approche commerciale et entrepreneuriale.

5. Perspectives

Des observateurs affirment que L’UE a certainement compris la motivation des restrictions commerciales en Algérie, en particulier, la nécessité de diversifier l’économie algérienne et de la dépolariser des hydrocarbures. Les différentes déclarations officielles des représentants européens, indiquent que l’UE continuera à soutenir des projets en accord avec cette vision stratégique de l’Algérie de mue économique et de trouver des solutions adéquates pour les rendre plus efficientes. D’une part, il a été noté que l’amélioration de l’environnement de l’investissement en Algérie a permis aux deux parties d’engager un nouveau partenariat autour de la promotion des IDE en Algérie. D’autre part, comme la logique du droit est prédominante surtout dans le domaine commercial et que le commerce étant une compétence exclusive de l’UE, qui négocie au nom de ses états-membres, l’institution multilatérale se trouve face à son obligation de défendre les droits des entreprises européennes, tout en soulignant l’importance d’une ouverture économique cohérente et transparente en Algérie. Dans un tel contexte, il est clair qu’un dialogue constructif dans un climat de sérénité est utile pour lever les équivoques et faciliter les IDE et le commerce bilatéral dans un esprit d’intérêt mutuel commun et de respect de la souveraineté.

L’Accord d’Association Algérie-UE est en phase d’être revisité pour sa redynamisation du fait qu’il avait, alors, intervenu dans un contexte politico-économique très particulier de l’Algérie. Nombre d’experts considèrent bénéfique pour les deux parties de redéployer leur coopération dans le sens défini par l’évaluation commune de 2016. Le démantèlement tarifaire ne peut plus être le seul « driver » de la coopération Algéro-européenne.

Présentement, les résultats sont tels que le Gouvernement algérien a exprimé sa volonté de revisiter l’Accord d’Association. Le 20 septembre 2020, le Président de la République Algérienne, conscient de l’article 107 de l’accord, avait déclaré que : « ….. Nous ne pouvons pas renoncer à l’Accord d’Association avec l’UE et nous ne pouvons pas nous éloigner de l’UE (…) mais nous allons revoir le calendrier et les partenaires européens sont d’accord concernant cette révision à laquelle s’attellent des économistes…. » Auquel il a ajouté : « …. Nous sommes en principe des partenaires de l’UE mais pas au détriment de notre économie….. »

Déçus, d’une part, par l’apport économique, et d’autre part, par le manque d’intensité des transferts de savoir-faire, de technologie et de circulations des personnes, la révision de l’Accord d’Association est devenue indispensable aux yeux des gouvernants algériens pour s’arrimer à la nouvelle Ere post crises multidimensionnelles et de recomposition de l’échiquier géopolitique Euro-méditerranéen.

6. Conclusion

Les différentes postures entre Bruxelles et Alger sont le reflet des défis rencontrés par l’Algérie dans sa quête de développement économique. Un équilibre entre protection de la production locale et ouverture aux investissements étrangers est l’impératif du développement durable et prospère du pays. Les IDE et la mise en place progressive d’un nouveau modèle économique algérien centré sur un Etat régulateur et la création d’une coopération publique privée y compris étranger seront les éléments clés d’une redynamisation d’une relation équilibrée entre l’Algérie et l’Union Européenne.

7.02.2025 / Dr. Arslan Chikhaoui, expert en relations internationales et membre du conseil d’experts du World Economic Forum.

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